Anthologie des Écrivains Sépharades du QuébecResponsable du projet: David BensoussanImaginons que nous soyons en 2110. Imaginons que quelqu'un se pose la question : Que devinrent le million de Juifs des pays de la diaspora sépharade qui ont quitté leur pays après un séjour plusieurs fois millénaires. Comment comprendre cet exode, ses racines et ses conséquences? C'est un peu dans cette perspective que je me suis plongé dans l'édition du Livre sépharade. Ce fut toute une expérience. Le travail de compilation des articles fut des plus agréables et m'a permis de m'infiltrer dans le vécu intime des narrateurs relatant la dolce vita sur les plages d'Alexandrie, la Goulette de Tunisie ou la Corniche casablancaise, le farniente beyrouthin, les moments parfois dramatiques ou tragiques dus à la condition de minoritaire ou de bouc émissaire ainsi que le magnifique accueil de la société québécoise et de la communauté juive déjà implantée en sol québécois. Bien que l'expérience des Sépharades soit très diversifiée, j'ai constaté qu'il y avait une grande similarité de notre vécu et du sort des communautés juives installées dans l'ancienne Perse, sur les rives de Babylone et du Nil et dans les contrées qui firent autrefois partie de l'Empire Ottoman, aux confins de l'Éthiopie et de l'Inde, des montagnes de l'Atlas à la Sierra ibérique. Le miracle de la préservation identitaire s'est renouvelé au travers des générations et des pays, souvent dans des conditions quasi-impossibles. En outre, cette mutation des Sépharades au vingtième siècle est très peu documentée.![]() Qu'avons-nous conservé de cette expérience? Un héritage judaïque quelque peu relégué à l'arrière-plan à l'époque coloniale, une liturgie, une musique, un folklore et une multitude de proverbes pour toutes les occasions et toutes les saisons et surtout l'espoir. L'espoir de refaire sa vie dans de nouveaux pays en conservant les traditions morales et philanthropiques du passé, de contribuer à la renaissance de la langue hébraïque et de l'État d'Israël. Comment exprimer ce bouquet d'expériences dans toutes ses nuances? Par le passé, la transmission se faisait oralement et parfois par écrit. À l'heure où la nouvelle génération s'exprime par émoticônes et où les jeunes s'entourent de tant d'appareils qu'il n'ont besoin de parler à personne, HIFIsés, CDisés IPODisés, IPADisés, IPHONisés et DVDisés, quel est le médium qui pourrait véhiculer ce patrimoine qui nous rassemble? En grandissant au Maroc, j'ai eu une admiration sans bornes pour la sérénité des scribes tenant une plume de roseau, taillant avec amour les lettres sacrées pour retranscrire les rouleaux de la loi, les discours de communion et rédigeant dans une écriture propre aux Juifs marocains et de laquelle nous ne nous souvenons pratiquement plus aujourd'hui. Cela peut s'appliquer à de nombreux autres domaines de la vie des Sépharades qui se sont dispersés de par le monde, emportant avec eux des souvenirs que les différentes mutations sociales du siècle passé n'ont su ou n'ont pu estomper! Envers et contre tout, vibre en nous un besoin de connaître et de comprendre notre passé, celui d'une culture d'une diaspora millénaire. L'écriture reste encore le meilleur moyen d'évoquer des impressions et des sentiments que l'art pictural et la photographie ne parviendront pas à égaler. Et c'est avec mon humble calame que je me suis mis au service de la communauté sépharade. Ma préoccupation première fut de faire en sorte que tous soient représentés : jeunes et vieux, intellectuels et hommes d'affaires, artistes et écrivains, afin que nous puissions représenter notre communauté dans son ensemble. Après quelques rappels historiques relativement à l'installation des Sépharades dans le Bas-Canada, les premières tentatives d'organisation communautaire sont retracées avant de passer à des échantillons du volontariat communautaire. D'autres chapitres reflètent la création musicale, artistique et théâtrale et donnent aussi un aperçu de la créativité littéraire. Puis viennent des souvenirs du «vieux pays», du pays natal. Si certains de ces souvenirs sont parfois nostalgiques, d'autres sont douloureux. Suivent les expériences de l'arrivée au Canada, les joies et les expériences burlesques des premiers hivers. Quelques portraits choisis précèdent une section intitulée «Perspectives» où il a été demandé aux auteurs d'articles d'envisager le futur du judaïsme en terre québécoise. Qu'il me soit permis ici de remercier Marc Kakon – dont ce fut l'idée - et le Conseil d'administration qui en regard de ce projet ont misé gros en m'accordant leur confiance pour l'édition du LIVRE SÉPHARADE : Dans ce travail d'édition, j'ai été épaulé par un comité de rédaction attentif composé de : Jean-Claude Lasry, Sophie Jama et de Yaël Bensoussan, d'un réviseur linguistique qui n'a pas compté ses heures, Charles Dadoun, et d'un photographe prompt à répondre à l'appel, Roland Harrari, et des professionnels de la CSUQ auxquels je tiens à rendre hommage. Enfin, je remercie également tous ceux qui, de près ou de loin, m'ont fait confiance afin de mener ce projet à terme. Compte tenu des délais serrés dans lesquels je me suis trouvé, il m'a été impossible d'embrasser un nombre plus vaste de témoignages. Bien que notre présence au Québec ne date que d'une génération, nos écrivains se sont exprimés soit dans la langue de Molière, soit dans celle de Shakespeare, de Cervantès ou dans la langue de la Bible. Ils ont parfois eu recours à des langues vernaculaires propres au passé, c'est-à-dire le judéo-espagnol et le judéo-arabe. Déjà, dans les œuvres littéraires certains traits communs transparaissent et il est à espérer que la recherche sur la production littéraire du passé et du présent des Sépharades ne pourra à l'avenir aller qu'en progressant. À ce titre, je tiens à manifester mes sentiments les plus sincères envers Anne-Élaine Cliche qui a préfacé l'ANTHOLOGIE DES AUTEURS SÉPHARADES DU QUÉBEC. Je conclurai en annonçant la parution d'un troisième ouvrage Il ÉTAIT UNE FOIS LE MAROC qui devrait être lancé sous peu à Dollard-des-Ormeaux, dans lequel je tente de décrire l'évolution du judaïsme marocain au cours des deux derniers siècles. Au travers des vicissitudes de l'histoire et de moments particulièrement difficiles, Juifs Arabes et Berbères ont gardé une empathie que ni l'éloignement géographique ni la distance des générations ne sont parvenues à estomper! J'espère que l'ensemble de ces travaux pourra nous permettre de mieux apprécier la beauté des multiples apports des civilisations dans lesquelles nous avons évolué afin de pouvoir en retenir tous leurs meilleurs aspects et qu'ils imprègnent nos existences dans le nouveau contexte québécois et canadien, nous permettant de contribuer à la société dans son ensemble au Canada et outre frontières. J'ose espérer que d'ici un siècle ou plus, ces ouvrages constitueront des volumes témoignant de la transformation de notre communauté qui se trouvait à un tournant majeur de son histoire. J'ose croire que ces écrits auront une continuité auprès des générations montantes et qu'elles contribueront à faire épanouir la communauté et qu'ainsi armées, elles n'oublieront pas de faire converger nos cœurs vers des horizons de concorde. Je tiens tout particulièrement à remercier mon épouse Adélia et mes enfants Eytan, Talia et Liora qui ont su se montrer des plus coopératifs et qui ont su me comprendre et m'aider pas à pas dès l'instant où ils ont réalisé l'ampleur de ce projet et de cela je leur en serai éternellement reconnaissant.
Le livre «Anthologie des Écrivains Sépharades du Québec» est publié aux Éditions Du Marais |