J'arrive à Mogadorpar Maurice Contant |
||
Le 1er juin 1927, en ma bonne ville de Reims, une dépêche, venue de Rabat, m'informe que je suis nommé à MOGADOR (Maroc), et que c'est à prendre ou à laisser! Déception! J'avais demandé Casablanca. Je bondis sur mon « Vidal-Lablache », qui me confirme que Mogador se trouve à 360 km au sud de Casablanca, c'est à dire, au tonnerre de Dieu! J'écris au secrétaire syndical au Maroc et, deux semaines plus tard, cet aimable garçon me documente: Mogador ??... Ville charmante, climat très doux, population des plus sympathiques...Vie pas chère...Un peu perdue, peut-être, entre la mer et les dunes... Pas mal de vent.. ça y est! je m'enflamme! Le 12 septembre, le vapeur « Volubilis », vieux rafiot cédé par le kaiser au titre des réparations de guerre, et retapé par la Transat – et qui penche obstinément à tribord – même à quai! – me conduit en quatre jours et demi, de Bordeaux à Casablanca. Durant ce liquéfiant voyage, j'ai usé dix bouteilles de Vichy , tué quelques punaises, maudit le Ministre Edouard Herriot (qui a signé mon détachement) et j'arrive au port, ventre vide, jambes fluides, et âme en nébuleuse!
Casablanca est comme une petite fille habillée de vêtements trop grands: il faudra qu'elle s'y ajuste. De belles, droites, et larges avenues, mais pas assez de maisons! Trop de vides... Des fiacres déhanchés: des bourriquots maigres, des âniers en loques!
Soleil et poussière...
J'achète – à crédit – un lit, un matelas, une commode. Un car Panhard, d'excellente qualité, me conduit, en sept heures, à Mogador. Comme c'est sec, le Maroc. Des plaines roussies de soleil, du sable, et des cailloux. Des villages de boue séchée, entourés de cactus... Des gosses à peu près nus, mais rigolards. Des biques, plutôt plates... Des fantômes d'arbres...
A cinquante kilomètres de l'arrivée, soudain, ça va mieux. Le bon Dieu a planté de vrais arbres. De beaux arbres!... Des figuiers, des oliviers, sur des mamelons dorés de chaumes et de vignes. Et je découvre les arganiers, avec des chèvres dans les branches!!! On arrive à Mogador, par Diabet, vieux petit village couleur de poussière. On passe sur un beau pont tout neuf (qui sera emporté un mois plus tard).. Et tout devient sublime!..
Rue de Paris!... Un couloir, des flaques... des bourriquots frôleurs, des gosses braillards, qui jouent à la marelle.
- Evidemment, comme partout, ni eau, ni électricité! Et comme combustible, le charbon de bois. Je te conseillerai. Il faut acheter de l'arganier. La flotte, deux tonneaux par jour, à cinq sous pièce. Eclairage au pétrole et aux bougies... - Dans cet angle, tu feras construire un fourneau à deux foyers, et un évier. Il te faut des briques, des carreaux, du sable, de la chaux et un maçon. En tout, compte cent francs. - Tu achèteras tes meubles chez Gautier, ta vaisselle chez Guénois, ton épicerie chez Coutolle. Ils te feront crédit: ils ont l'habitude! Parce que tu ne toucheras pas un radis avant Janvier, je t'avertis.. - Ah, je t'ai trouvé aussi une bonne: jeune, docile, très foncée, et les yeux blancs. Gautier, ex-légionnaire retiré des doums, achète bon marché les meubles de ceux qui s'en vont et les revend très cher à ceux qui arrivent. Sa boutique ressemble à deux accidents de chemin de fer superposés. J'évite, de justesse, le hideux « Henri II » à colonnes, et j'extrais du fatras, un rustique «tous terrains», une table, six chaises dépareillées, un tub de zinc, et une grande glace couverte de tache de rousseur! Guénois me vend deux lampes à pied, de la vaisselle, mais, exige (le vieux grigou) une reconnaissance de dette! Coutolle, tout de blanc vêtu, me présente son éblouissante épicerie, où on trouve... Tout!!! Pour l'éprouver, je lui demande une bouteille de champagne Mumm Red Top!!! Il me rive mon clou, en me disant que son Dom Perignon millésimé est infiniment supérieur! Je vais voir mon école, au fond d'une ruelle, magnifiquement baptisée « Augustin Bernard »... Belle. Neuve. Cinq classes.
Trente élèves: des fils de fonctionnaires et de commerçants (sans problèmes), des fils de colons (à manipuler avec précaution), des Marocains, souvent « israélites » (très sages)... Mais alors des noms!!! Medina, Dahan, Elmaleh, Provasoli, Benattar, Cabessa.. D'autres, bien de chez nous: Vialatte, Caudal, Cartier, Sandillon, Martin. On s'y fera.
Veine! La rentrée est refoulée au 20 octobre, à cause d'une providentielle épidémie de scarlatine. Ce qui me permet, avec l'ami Damoiseau, de conquérir la forêt, la plage, l'îlot, les rochers... Et de me faire de bons copains marocains, qui me seront toujours fidèles. Et pourtant, pourtant ça ne va pas! J'y suis resté un demi-siècle!!! |