Auteur: Jacques Sibony

   …Qu’est-ce qui a cloché, qu’est-ce qui a fait qu’une initiative prise au début du 20ème siècle par quelques pionniers conscients du piège qui allait se refermer sur les juifs d’Europe, une tentative de sauvetage mille fois justifiée par ce qui a suivi, ait abouti à un autre piège ? Pourquoi n’a-t-il pas été possible d’éviter que la réparation d’une injustice ne débouche sur une autre injustice ?
   Aurait-il été possible de l’éviter ? Les responsables d’un tel gâchis sont-ils dans un seul camp ou dans les deux ? Ils ne trouvaient pas plus de reponse à ces questions qu'à celles qui concernaient le sort de Miral et Dov.

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   Les repas végétariens furent distribués en premier aussitôt que l’avion eut atteint son altitude de croisière. Dov avait faim et louchait vers le plateau déposé devant sa voisine de l’autre côté du couloir, une jeune femme brune, les yeux vert foncé et les cheveux tombant en boucles sur ses épaules. Vingt-cinq ans, vingt-sept tout au plus. Il pensa a Liz Taylor dans Reflets dans un OEil d’Or.
   Végétarienne… Cacher ou Halal ?

   Aucun signe religieux apparent et rien dans ses vêtements ou son comportement pour lui permettre de trancher. Il cessa d’y penser lorsque son plateau fut servi. Il avala rapidement le repas et demanda a lfhotesse si elle voulait bien le debarrasser du plateau afin qufil puisse installer son ordinateur portable. Il entreprit de revoir le PowerPoint de la conférence qu’il avait préparée pour le symposium réunissant tout ce que New York comptait de chercheurs en physique quantique. Il passa en revue les planches une par une en imaginant la meilleure façon de les commenter. Arrive a la derniere il referma lfordinateur en se promettant de réviser l’ensemble une fois encore avant l’atterrissage. Entretemps l’éclairage avait baissé. Les autres passagers regardaient un film, lisaient ou sfetaient deja endormis. La jeune fille aux yeux verts était plongée dans un livre dont il ne parvenait pas a lire le titre. Il prit un demi-cachet de Stilnox, mit un masque avion et inclina vers l’arrière le dossier de son siège...

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   ...À peine Dov eut-il quitté ses amis qu'une idée lui vint à l'esprit et très vite elle s'imposa définitivement : pour fêter ce double anniversaire il allait donner rendez-vous à Tawfiq et Camille quelque part où ils pourraient se rejoindre. Puis lui vint l'idée folle que ce serait à Essaouira, ex-Mogador, la ville natale de sa grand-mère, à laquelle il n'avait plus pensé depuis longtemps mais qui venait de refaire irruption dans sa vie à propos du fameux ancêtre sénateur de Floride. Il les rejoindrait là avec Miral.
   Il s'attaqua aussitôt à l'organisation du voyage, en commençant par étudier le moyen pour Tawfiq et Camille de rejoindre le Maroc au départ de Ramallah. La solution la plus simple consistait à passer par Paris qu'ils pouvaient rejoindre depuis Tel Aviv ou depuis Amman en Jordanie. Ils se retrouveraient tous à Paris d'où ils prendraient ensemble un vol pour Essaouira. Il y en avait deux ou trois par semaine selon la période. Camille pourrait en profiter pour voir ses parents et leur présenter Tawfiq si elle le souhaitait. Dov prendrait en charge tous les frais du voyage pour les deux couples. Bien entendu il ne pouvait être question de faire de ce cadeau une surprise de dernière minute. La réservation des vols, les demandes de congés à déposer et les visas à obtenir, tout cela risquait de prendre plusieurs semaines. Il fallait donc très vite dévoiler le projet.
   Puisqu'il n'était pas question de tout organiser à leur insu, il allait consulter Tawfiq et Camille, sur leur préférence : passer par Tel Aviv avec les inévitables tracasseries aux différents checkpoints puis à l'aéroport Ben Gourion qui rappellerait à Tawfiq de douloureux souvenirs ou passer par Amman avec d'autres checkpoints à franchir mais sans doute moins de problèmes à l'aéroport Queen Alia. Pour son visa Tawfiq pourrait s'adresser à l'ambassade du Maroc à Ramallah. Lui et Miral le demanderaient à celle de Washington.

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   ...Un jeune Marocain, gardien des lieux, vint saluer Dov et Miral et leur demanda s'ils avaient besoin d'aide. Il connaissait l'emplacement des tombes de toutes les anciennes familles juives de Mogador. Dov lui demanda s'il pouvait leur indiquer des tombes au nom de Yulee ou Yuli. Le jeune homme sortit un carnet plein de croquis et de notes en expliquant que son grand-père avait été gardien de ce cimetière depuis le départ des derniers Juifs. Le grand-père était analphabète mais il connaissait par cœur toute la topographie du cimetière et pouvait indiquer de tête la situation de la plupart des sépultures. Peu avant sa mort il lui avait dicté le maximum d'informations. Il leur indiqua la tombe d'une certaine Rébecca Yuli tout au fond du cimetière dans la partie envahie par les herbes. Avant de les laisser s'y rendre, il proposa à Dov une kipa au cas où il voudrait faire une prière. Dov n'osa pas refuser. Ce geste de fraternité toucha Dov malgré le sourire de Miral : lui, le laïc forcené qui s'était toujours refusé à porter tout signe religieux il n'osait pas se dérober à l'invitation d'un jeune musulman gardien du cimetière juif et se couvrait la tête en le remerciant.
La dalle de Rebecca Yuli était en bon état, joliment ornée de volutes et de dessins floraux. On pouvait encore lire le texte hébreu écrit dans un style très recherché, rendant hommage aux qualités de dévouement et de générosité de la défunte. L'épitaphe mentionnait aussi son époux Joseph Lévy-Yuli, collecteur de fonds durant les années de sécheresse pour les orphelins et les veuves et son père Messod Tordjman. L'inscription en anglais était beaucoup plus touchante. Elle faisait référence à ses qualités de mère qui n'étaient pas mentionnées dans le texte en hébreu. Elle avait sans doute été rédigée par ses enfants :
HERE LIE THE REMAINS OF
REBECCA YULI
THE BEST AND PUREST MOTHER
THAT EVER LIVED
GONE NEVER-TO-BE-FORGOTTEN
8TH AUGUST 1926
Dov lut dans les yeux de Miral l'émotion suscitée par cet hommage à une mère. Venant après le geste fraternel du gardien il n'en fallait pas plus pour que sa gorge se noue et que des larmes lui montent aux yeux.










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